Durant la rédaction de ce texte qui traîne depuis de nombreux jours, je me suis retrouvé face à un dilemme et un questionnement en arrière-plan. Dois-je expliquer ma démarche artistique pour ce nouveau tableau ou vous laissez le soin d’en faire votre propre interprétation ? Conversation que nous avons eu avec ma compagne qui se fiche éperdument du processus créatif. Elle préfère s’imprégner d’une œuvre, à son goût, sans influence extérieure. Alors qu’il me semblait être sensible aux propos soutenus par les productions d’un artiste, je me suis aperçu que ça n’était pas aussi évident. Le week-end dernier, flânant dans les ruelles d’une petite bourgade non loin de chez moi, j’ai visité une exposition d’une artiste en résidence. Juste par curiosité. À peine rentré, elle a souhaité m’expliquer sa démarche et j’avoue, ça m’a gonflé. Comme si elle m’avait volé ma capacité à apprécier son travail, quand bien même ça aurait été différent de ses intentions. J’aurais préféré m’abreuver à ma guise et lire plus tard sur ses supports numériques sa démarche artistique.
Je me pose donc la question de savoir s’il est judicieux de développer mon approche artistique sans vous spoiler et prendre le risque de ne pas faire confiance en votre intelligence ou votre sensibilité.
J’ai fini par trancher le fruit de mes réflexions en deux. La décision est prise pour la simple bonne raison que j’ai passé un temps fou à rédiger cet article et ça me ferait bien mal de l’avoir fait pour rien.
Bien évidemment, vous avez le choix. Si vous préférez découvrir une peinture sans l’influence explicative du processus créatif, je vous invite à ne pas lire le texte qui suit. Il décrit mes cheminements et mes intentions. Du moins, la partie consciente. Libre à vous d’en faire l’interprétation de votre choix, en fonction de votre sensibilité, votre histoire, vos goûts. Malgré tout, je fais partie de ceux qui aiment comprendre la démarche artistique d’un·e auteur·rice (l’origine du déclic, comment iel a travaillé, avec quelles techniques et surtout ce qu’iel a voulu transmettre), mais sans être confronté à la personne, de préférence par la lecture. Raison pour laquelle, je vous en livre l’envers du décor. Si vous vous en carrez la rondelle, pas de souci, je ne vous en tiendrai pas rigueur, il vous suffit de ne pas lire ce qui suit.
Sinon, bon courage.
Mode opératoire :
- Réflexion sur plusieurs années, impossible à définir… Potentiellement le jour où nous avons vu ensemble avec un ami de l’époque du collège, un pied-de-ciel, des rayons crépusculaires ou je ne sais quel autre terme pour définir ce phénomène et qu’il m’en a donné le nom breton. Soit au moins 25 ans.
- Depuis l’automne 2023, dès que j’en ai eu la possibilité, j’ai photographié cumulus, stratus, cumulonimbus et tout éclair de soleil qui les transperçait. Je fais style, mais je n’y connais absolument rien en nuages.
- Probablement entre deux coups de pinceaux sur un autre projet, en février 2023 j’ai griffonné rapidement les fondations du futur tableau :
- En 5 heures à partir du 24 février 2024, j’ai esquissé le projet sur tablette numérique. Histoire de me donner une ligne directive et savoir si ce que j’avais en tête ne risquait pas trop de se finir en merde incommensurable. Les formes et les teintes étaient alors assemblées grossièrement. Une fois rassuré, j’ai pu entamer la couche d’apprêt sur la plaque de médium. Un nouveau support conseillé par mon pocain chéri d’amour alors que je me plaignais de la souplesse et de la fragilité de mes isorels de récupération.
- Premiers crayonnés réalisés le 26 mars 2024. Travail jusqu’au 5 mai 2024, tantôt le jour, souvent la nuit, une heure par-ci, 3 heures par là, un coup de mou où je préfère m’enfoncer dans la peinture et ne pas sombrer, un autre où je n’arrive plus à rien, pause pendant 3 jours de vacances et rebelote. Jusqu’à apposer ma signature pour en marquer la fin.
Matériel utilisé :
- Plaque de médium de 1cm d’épaisseur, 70 x 100 cm.
- Peinture murale blanche pour la couche d’apprêt.
- Crayon gris pour esquisse, oui, je détaille tout.
- Peintures acryliques, certaines provenant de magasins de bricolage, d’autres de fournitures artistiques. Création de mes propres mélanges pour tous les aplats des nuages, de la mer et des rayons solaires appliqués aux pinceaux.
- Feutres acryliques rechargeables pointes 0,5mm pour les détails.
Intentions :
Ce tableau me trottait en tête depuis un bon bout de temps. Pour plusieurs raisons. Je voulais représenter, tout en conservant le style des mandalalas, ces éclats de soleil qui transpercent les nuages et en faire l’allégorie du début de la fin des épisodes dépressifs. Jouer ainsi avec le pimpant des tons, des motifs et la lourdeur sous-jacente du thème.
L’expression bretonne auquel je pensais lui en donner le nom, m’a échappé avec ma tête à trou. Bien infoutu de me le rappeler. Pas bien grave après tout. Plusieurs recherches sur le ouèb sont restées infructueuses, j’ai laissé tomber. Si ma mémoire poreuse ne me fait pas trop défaut, le nom de dieu y apparaissait. Dans le principe, je n’en suis pas un grand admirateur. « Rayons crépusculaires » semblent être une des définitions de ce phénomène météorologique. Seulement les images visibles sur internet mettaient en scène des rayons solaires partant de l’horizon. « Pied-de-vent » est employé au Québec. Les miniatures de cette expression correspondaient uniquement à la représentation picturale, pas à son intention. Tout comme « Pelleteux de nuages », en référence au commissaire Adamsberg, personnage iconique d’une série de romans de Fred Vargas que j’affectionne tout particulièrement.
Malheureusement, le propos que je souhaitais lui insuffler n’apparaissait pas. Décidément, ce satané tableau m’a donné du fil à retordre pour réussir à le nommer.
Outre ce phénomène météorologique particulier, j’ai tenté de mettre en peinture, cet instant de grâce où la dépression et l’anxiété s’échappent enfin. Encore fragile, je touche du doigt un début de stabilité dans mes humeurs. Les petites pilules bleues, rouges et oranges que j’ingurgite quotidiennement ne me font plus toucher la vase et encore moins monter dans les tours comme avant. De l’euphorie la plus débridée à l’état dépressif carabiné, les cachetons, tant décriés, me stabilisent généralement entre zéro et moins un sur une échelle de dix à moins dix. Je remercie sincèrement ma cervelle de ne jamais avoir atteint ces extrêmes. Il y aurait de fortes probabilités pour que je ne puisse même plus tenir un crayon. Mais régulièrement, il m’arrive encore quelques décharges intérieures. Malheureusement, plus trop d’euphorie. Ou alors de courtes durées. Une espèce d’excitation où tout grésille de plaisir dans mon corps et dans ma tête. Je perçois les regards suspicieux de mon entourage proche si les vibrations durent plus de deux ou trois jours. A-t-il recommencé à fumer ? Sa logorrhée va-t-elle se calmer ? Dois-je lui en faire la réflexion pour le mettre en garde ? Fort heureusement, mon abstinence aux drogues fait que cet état ne dure que trop peu. Trop peu, parce que cet enthousiasme extrême est bel et bien le seul côté positif des troubles de l’humeur… Et aussi celui dont je dois le plus me méfier. Malheureusement aussi, dépression et anxiété s’invitent… Encore un peu trop à mon goût. Du simple fait – et tous ceux qui connaissent ou ont connu ces états le savent – qu’elles sont aux antipodes d’une partie de plaisir. Auto-dénigrement, fatigue extrême, asocialité, audition ultra-sensible et les incontournables pensées suicidaires. Heureusement, ma compagne est terriblement attentive à mes fluctuations temporelles d’humeurs et sait comment me prendre. Parfois en me conseillant de dormir, d’autres fois de me remettre au sport en douceur et en cas d’urgence de prendre rendez-vous avec ma thérapeute. Et lorsque je sens que la douleur morale s’estompe, j’ai cette impression de percevoir des éclats de lumière au travers d’opaques nuages qui m’obstruent les sens.
D’ailleurs, petite anecdote amère, pur hasard ou alignement artistique, une descente dans le blizzard (https://youtu.be/HMpmedi_pH4) m’a traversé un peu avant la fin du tableau. Un dérapage incontrôlable que je n’avais plus effectué depuis plusieurs mois. Secousse tellurique intérieure de magnitude 6 sur l’échelle de Jesuisenbad dont je me serais bien passé.
Ce tableau a aussi failli s’appeler « Euthymie », nom médical pour désigner les périodes stables. Il manquait un petit quelque chose. Suite à un tel ciel, les éléments peuvent de nouveau se déchaîner ou le soleil caresser la peau de ses rayons. À la recherche d’un terme médical précis à la sortie d’une période dépressive, une amie psychologue m’a confirmé, qu’à sa connaissance, un tel mot n’existait pas. Mon Amoureuse m’a alors proposé « Sortir du trou ». Mon côté pipi-caca n’a pas pu s’empêcher de penser à « trou d’cul », mais l’idée a fait son chemin et c’est ainsi qu’il s’appellera !
« Sortir du trou », c’est tout à fait l’idée. Grâce à la médication et au travail thérapeutique, je ne sonde plus les abysses. Je garde encore occasionnellement cette sensation d’être dans un trou, un tube oppressant, j’ai beau y voir une lumière, elle semble pour toujours inatteignable. Un peu à l’image de cet hiver 2024 aussi pluvieux qu’interminable. Je sais pertinemment que le soleil finit toujours par revenir et mon état psychologique se stabiliser. La peur de l’ombre perpétuelle est telle que je crains d’y rester coincé à jamais. Sans comprendre ni comment, ni pourquoi, mon intérieur s’harmonise à son rythme… Et je sors du trou. Du cul ?
Caresses et bécots à l’œil