Vue d’une exposition d’œuvres abstraites et figuratives de Fabien Trarieux, dans une salle voûtée en pierre au Papégault, lors de l’événement Rad’Art 2024

Depuis 3 ans, le numéro du responsable de Rad’Art se trouvait dans mon répertoire téléphonique. Seulement, il n’était pas nominatif. Je me cachais derrière cette excuse pour ne pas appeler une personne que je ne pouvais nommer. Avec une amie, lors de l’édition Rad’Art 2023, nous nous étions croisé par hasard dans un atelier Au Tas de Sable à Port-Louis. La question s’était posée « et pourquoi pas nous ? ». La sociabilité n’étant pas notre point fort, nous avions alors balayé cette éventualité.

Et puis….

Et puis, à l’école de ma petite dernière, une AESH a été embauchée. Il s’est avéré qu’elle avait été la prof de cirque de mon épouse et qu’elle connaissait le nom ET le prénom de la personne mystère qui se cachait derrière ce numéro de téléphone. Je n’avais plus aucune excuse bidon pour procrastiner et tortiller du derrière. J’ai pris mon téléphone d’une main, puis avec le pouce j’ai fait défiler le contact mis à jour. Fabrice Thomas était à l’autre bout des ondes. Ma demande était simple, il m’a fallu trois ans pour oser la formuler : participer à Rad’Art. En réponse à sa demande, je lui ai fait parvenir le lien de mon site et nous avons convenu d’un rendez-vous à son atelier.

Début avril, avec un mélange de papillons et de nœuds au ventre, je l’y ai rejoint. De nombreux échanges et plusieurs cafés après, il m’a proposé d’exposer au Papégault à Port-Louis. En me prévenant que le lieu était humide, mais que le passage y était assuré.

Passée cette première rencontre, mon cerveau a commencé à tourner dans tous les sens et mon estomac à faire des nœuds. Je développe. Je réfléchissais à comment exposer, quoi exposer, où trouver les fonds si je devais imprimer des photos, d’ailleurs devais-je les exposer ? Et mes BD aussi ? Ou devais-je me focaliser uniquement sur les mandalalas afin de ne pas perdre les visiteurs ? Anticiper le renforcement des tableaux pour qu’ils supportent une exposition. Mais comment ? Aller visiter le lieu une fois, puis une deuxième, prier pour que les attaches présentes soient suffisamment solides pour supporter le poids de mes œuvres. Bricoler un panneau sur un isorel de récup’ pour indiquer notre exposition. En parallèle, réussir à trouver le temps de continuer à peindre, me rendre compte que non, ce n’était pas du tout le moment propice à la création. Reprendre la quasi-totalité de mon site internet, y rédiger des articles explicatifs des démarches artistiques de chaque tableau que j’allais présenter, les synthétiser via une intelligence artificielle (que quelqu’un, quelque chose puisse soulager ma cervelle s’il vous plaît !). Ho et quelle riche idée, créer des QR code à positionner sur les cartels. Les visiteurs auront juste à les scanner pour avoir l’analyse descriptive du tableau de leur choix.

Panneau d’exposition indiquant les artistes Benoît Pomel (linogravures) et Fabien Trarieux (peintures) pour l’événement Rad’Art 2024

Réussir à coupler le tout avec les tâches ménagères ou d’être tellement amorphe au point de ne plus pouvoir faire que le minimum vital et de laisser le reste à ma compagne tellement j’avais trop tiré sur la corde. Et quelle autre riche idée avais-je eue de diminuer les anxiolytiques au moment où j’étais le plus fragile ! Difficile aussi d’assumer une prise de poids digne d’une ménopause à cause d’un ongle incarné qui m’a empêché de courir pendant une bonne partie de l’été et d’une capacité à manger mes émotions comme Po dans Kung Fu Panda. Il a fallu que mon Amoureuse mette un hola doux, mais ferme, sous-entendant clairement que je devenais sacrément casse-ovaires depuis trop longtemps maintenant. Il était temps que ça cesse.

Alors encore deux jours de pinaillages et j’ai cessé. Du moins, j’ai tenté.

Entre temps, la crainte de ne pas avoir suffisamment d’œuvres à présenter et la peur de m’exposer (dans tous les sens du terme comme je l’avais précédemment indiqué dans mon dernier article) m’a motivé à pousser du coude Benoît Pomel, linograveur de son état, à m’accompagner dans cette aventure.

Quelques jours avant le week-end fatidique, mon amoureuse a tenu à m’accompagner pour nettoyer de fond en comble le lieu. Une pelletée d’escargot s’était réfugiée derrière la porte d’entrée. J’ai tenté d’en écraser le moins possible, mais l’expérience s’approchait autant d’une confection d’omelette sans casser un seul œuf. La majeure partie d’entre-eux a été délicatement déposée à quelques mètres du bâtiment. L’humidité ambiante s’était propagée, la faute, sans l’ombre d’un doute, à ces successions de saisons aussi pourries les unes que les autres. Des morceaux de chaux des joints entre les pierres s’étaient retrouvés coincés dans une profusion de toile d’araignées. Heureusement nous avions remèdes à tous ces inconvénients : plusieurs bâtons d’encens afin de venir à bout de cette odeur de moisie, balai du sol au plafond et serpillère.

Histoire de commencer progressivement à apaiser mes angoisses, j’avais embarqué trois tableaux aux formats différents et constater, avec un soulagement non feint, que les attaches présentes étaient suffisamment résistantes. Je les ai laissé en place un après-midi et une nuit afin de tester leur résistance à l’humidité ambiante et le résultat a été plus que satisfaisant.

Soupçonnant, à raison, ma capacité à me désintéresser royalement de la disposition de mes tableaux, mon épouse, malgré mes aléas humeuristiques (oui, j’invente le mot), a décidé de me conseiller sur l’organisation et la présentation des tableaux. Personnellement et comme elle s’en doutait, j’aurais posé là, là et là, pof, ça tient, nickel, allez, à demain, on se casse. Sauf que ça ne s’est pas passé comme ça : « Alors celui-là, tu devrais plutôt le déplacer ici, l’autre le rapprocher de la chouette et le soleil le ramener prêt du cœur… Ah non finalement, inverse ces deux-là, et remplace celui-ci par l’autre là qui est plus dans des teintes colorés sinon tu risques d’avoir tous ceux qui sont dans des teintes ternes d’un côté… » Bref, je faisais le petit chien-chien qui déplace ses petites crottes. Et évidemment, elle avait en-ti-è-re-ment rai-son !

Forcément la patafix ne tenait pas entre les cartels plastifiés et les murs en pierre, j’ai donc du les placer sur les tableaux et constater que vu ce tas de caillasse et de terre qu’est le Papégault, mes QR codes n’allaient servir à rien car le réseau ne passait pas. Ha ha, trop drôle. Une prise de tête pour rien, j’adore.

La veille de l’exposition, la nuit n’a pas été très reposante, c’était une évidence. Mais toute la tension accumulée se dissipait progressivement, ce qui pouvait être fait l’avait été.

Comme à mon insupportable habitude de ne pouvoir arriver en retard, j’étais au lieu dit une heure en avance avec dans les poches un ruby snake (merci N.) pour passer nerfs*, impatience*, anxiété* (* : veuillez rayer la mention inutile) du café en perfusion et du cake chocolat banane pour éviter de défaillir.

Ensuite, j’ai perdu la notion du temps, les gens sont passés. Beaucoup. Enfin, beaucoup plus que ce que j’aurais imaginé. Au moins une centaine le samedi, approximativement le même nombre sur la journée du dimanche malgré un temps défavorable. Des inconnus qui sont entrés aussi vite qu’ils sont repartis, d’autres qui s’attardaient soit sur les productions de Benoît, les miennes ou les deux, certains.nes qui demandaient des explications sur les techniques utilisées, les supports, d’autres qui s’en foutaient royalement ou n’osaient pas demander. La famille et les ami.e.s qui ont pu se libérer en guise de soutien et d’encouragement. D’ailleurs de grands mercis aux tontons et leurs compagnes, Pap et Moun, sista et son époux, la tribu à la petite dernière poulette d’amour qui a vomi en plein milieu de la salle, aux futurs mariés, à N. et sa fille pour la story insta, à A. et son mari, maîtresse préférée de ma fille, à É. même si elle est venue sans mon copain chéri d’amou-our avec l’excuse imparable d’être de mariage, à M. et É. accompagné.e.s de ma Tendresse et à cette rencontre avec C. grâce à notre thérapeute mutuelle préférée. Rien que vos visites m’ont comblé, le reste n’était que du bonus !

Intéressant d’être confronté au retour des visiteurs. Alors qu’à mes yeux, mon trait est volontairement imparfait et faillible, que j’aime la dissonance, beaucoup m’ont demandé si mes tableaux étaient réalisés sur ordinateur et n’imaginaient même pas que ça puisse être réalisé à main levée. D’autres y ont vu des motifs répétitifs comme sur des tapisseries ou du tissu et pensaient que c’était le cas. Plusieurs retours sur des influences aborigènes, indiennes ou tibétaines auxquelles j’adhère entièrement. Étonnamment personne (enfin du moins, pas directement énoncé) n’y a soupçonné une corrélation avec les cernes des arbres. Comme quoi, les goûts, les interprétations sont, on ne peut plus, subjectives. Pour preuve : pourtant totalement imperméable à cette culture, un couple m’a fait la remarque d’une influence de motifs bretons dans plusieurs de mes tableaux, c’est dire ! 

Donc en définitive, je peux affirmer haut et fort que cette expérience a été salvatrice et fortement intéressante. Mon seul regret, mais je pense que la plénitude et la confiance en soi feront partie de ma personnalité une fois six pieds sous terre, est d’avoir été comme un arc tendu pour envoyer sa flèche de la pointe de Gâvres à celle de Larmor-Plage. Je ne peux que demander pardon à mes proches qui ont dû supporter une nouvelle fois (je ne peux malheureusement pas leur promettre que ce sera la dernière) mes humeurs et mes anxiétés et les remercier du plus profond de mon cœur pour leur (im)patience. Un grand big-up aussi à Fabrice Thomas de m’avoir offert cette opportunité et d’avoir lui aussi accepté mes montées de stress. Un grand merci aussi à Benoît de s’être bien cogné la tête contre les murs de l’administration française et de m’avoir transmis les indications à suivre pour obtenir le statut d’artiste-auteur. C’est officiel, je l’ai rédigé et validé début octobre. Un grand pas pour Fabien, un petit « on s’en bat le steak » pour l’humanité.

Voilà, grâce à tout ce petit monde, un cap a été franchi. J’ai réalisé ma première exposition dans des conditions que je qualifierai d’hardcore pour au final deux malheureux petits jours : totalement insignifiant dans une vie. Mais c’est fait, JE l’ai fait grâce au soutien, à la patience de ma Douce, à l’incompréhension de mes enfants face à mes humeurs, aux encouragements divers et variés. Autant préciser, que les « maiiiis t’inquiète, tout va bien se passer ! », ne me rassuraient en rien. 

Autre avantage de cette expérience est que ce fichu portfolio, impossible à terminer depuis belle lurette, j’ai enfin pu le clore dans une forme qui me satisfait. J’ose désormais démarcher quelques lieux doucement, mais sûrement, pour de futures expositions. Quelques pistes intéressantes semblent se dessiner, mais je préfère ne rien dire pour l’instant, histoire de ne pas attirer le mauvais œil.

Et maintenant, c’est reparti, me voilà libéré de cette tension pour peindre à nouveau et ça fait un bien fou.

Caresses et bises à l’œil

Vue de l’atelier de Fabien Trarieux avec un tableau en cours de réalisation, présentant des formes abstraites jaunes et oranges sur un fond lumineux