Tableau sur fond blanc symbolisant une coupe transversale d’un tronçon de bois au titre de la région québécoise et en hommage à l’autrice Gabrielle Philyteau-Chiba « Amouraska ».
« Kamouraska » – Peinture acrylique sur isorel 76 x 59 cm – Fabien Trarieux – Mai 2025
Détails 01/04 du tableau « Kamouraska »
Détails 02/04 du tableau « Kamouraska »
Détails 04/04 du tableau « Kamouraska »
Détails 03/04 du tableau « Kamouraska »

À la suite de mon dernier tableau « Hybride », je ressentais le besoin de légèreté. M’alléger l’esprit et retourner aux mandalalas et à leur abstraction. Mettre de côté la réflexion, laisser la place à l’intuition. Mon objectif était simple et louable : moins me prendre la tête et la laisser se reposer. Je garde en objectif de continuer à travailler sur la représentation d’animaux, mais les ébauches actuelles ne me satisfont pas suffisamment pour m’y atteler. Il y a nécessité à laisser décanter. Je sais aussi que l’été approche à grands pas, tout comme les grandes vacances scolaires où le temps me manquera cruellement pour créer. 

Pendant ces trois mois passés à travailler sur ce hibou, entrecoupé par les tâches ménagères, les impératifs du quotidien et le temps partagé avec mes proches, apprécier quelques épisodes de séries ou de lire collé·e·s, serré·e·s auprès de mon Épouse est salvateur pour ne pas être constamment dans l’action ou la réflexion. C’est reposant. Ces doux et indispensables instants de grâce salvatrice que nous choyons une fois notre petite poulette couchée. 

Un soir, rien de passionnant à regarder sur les plateformes de streaming, plus de bandes dessinées à dévorer. Il ne me restait plus qu’à retourner vers un roman. Plus rien à me mettre sous la dent, depuis « Pauvre Folle » de Chloé Delaume dont l’écriture m’a bouleversé. J’aime savourer cette délectable sensation d’être continuellement bercé par l’écriture d’une autrice même une fois son roman terminé. J’ai enchaîné sur « Phallers » où les bites explosent autant que les pamphlets anti-masculinistes. Un régal, je le conseille vivement. Malheureusement notre médiathèque n’avait pas d’autres volumes de cette autrice. Je suis resté le bec dans l’eau. Témoin de mon désarroi, mon Amoureuse m’a tendu « Sauvagines » de Gabrielle Filteau-Chiba. Elle m’a prévenu que c’était normalement une trilogie, débutant avec « Encabanée », introuvable également dans notre médiathèque. Elle m’a prévenu que si j’accrochais, le troisième tome « Bivouac » serait quant à lui disponible à l’emprunt. Et j’ai accroché, bon sang de bois qui pète, comme j’ai accroché ! Dans un tout autre registre que Chloé Delaume, j’ai été transporté jusqu’aux terres québécoises, au point de rêver d’aller y vivre. Alors que, sans l’ombre d’un doute, je ne supporterai pas ses hivers glaciaux. 

Attention : je vais divulgâcher légèrement, pour celleux qui seraient intéressé·e·s. Ne lisez pas le paragraphe ci-dessous.

Vers la fin de « Bivouac » sentant que l’histoire allait mal se terminer, j’ai lu les dernières lignes du roman. Oui, je fais partie de ces gens qui lisent la fin d’un livre en cours. Je n’aime pas quand ça finit mal, notamment pour les personnages principaux. C’est mon côté fleur bleue. Si le livre me plaît moyennement, je peux purement et simplement l’arrêter sans en connaître le déroulement réel. Ça me laisse un petit goût amer, parfois même une légère hésitation à lire jusqu’au bout. Je savais donc qu’une des héroïnes de l’histoire allait mourir et punaise, ça m’a fait pleurer comme je n’avais pas pleuré sur un livre depuis des années.

Je ne suis pas critique littéraire et je préfère garder pour moi tout ce plaisir que les deux romans de cette femme m’ont apporté. Si ce n’est la joie de découvrir une nouvelle autrice, son écriture affranchie et décomplexée de la langue française de MôÔôlières où le phrasé québécois y est sublimé autant dans ses tournures de phrases que dans ses expressions et son vocabulaire qui lui est si singulier. Aucunement besoin de se référer au glossaire pour comprendre les québécismes : la langue et l’écriture sont si belles qu’il suffit de se laisser bercer par l’histoire. Tous les soirs son livre me susurrait à l’oreille « viens, viens me lire, laisse tes peintures et ton tableau ». 

L’autrice a glissé dans ses écrits quelques jolies illustrations et une m’a sauté au visage, au point qu’il me semblait évident que je devais m’en inspirer pour mon prochain tableau.

Des souvenirs de ma formation en élagage ont ressurgi. Notamment un flashback de notre enseignant en biologie végétale qui lors du premier cours de l’année nous a questionnés sur nos motivations pour ce métier. Après nos réponses, il a tranché : « Si vous venez ici en pensant que tailler des arbres va leur faire du bien, vous pouvez sortir de cette pièce ! ». Il nous a transmis l’amour et le respect des arbres en nous transmettant les clés de compréhension de leur métabolisme et des êtres vivants qu’ils sont. À l’époque, il n’était pas encore question de communication entre les arbres grâce aux mycorhizes. Et pourtant. Il a même été jusqu’à faire un parallèle entre les français qui collaboraient avec les nazis durant la seconde guerre mondiale et le fait qu’à défaut de pouvoir trouver mieux, l’entreprise dans laquelle je travaillais en apprentissage, était sous-traitée par EDF pour massacrer les arbres en fonction des lignes électriques basses et moyennes tensions. J’ai été élagueur à mon compte pendant une dizaine d’années entrecoupées de phases maniaques ou dépressives. Dès qu’il m’a fallu couper des branches d’arbres pour dégager une vue de la véranda ou de la terrasse orientée plein sud, pour limiter les feuilles mortes dans une piscine et que je ne pouvais refuser à moins de ne pas pouvoir nourrir ma famille, j’en avais l’estomac au bord des lèvres. 

Je me suis remémoré toutes ces balades régénérantes en forêt lorsque le moral était plus bas que terre. La verdure, l’odeur de mousse, les sons diffus, la lumière tamisée suffisaient parfois à me relancer dans les envies. Ce dessin m’a rappelé le décompte des cernes d’un arbre pour en connaître l’âge, malheureusement seulement une fois abattu. Constater que pendant toutes ces années, il est resté fixé au même endroit avec une mobilité qui lui est propre : la propagation de son système racinaire dans les couches superficielles de la terre, l’étendue progressive de ses branches, de son bois, l’épaisseur de son tronc, ses fruits dégringolant autour de sa couronne ou dispersés par les oiseaux, les animaux ou le vent. 

Consciemment ou non, les arbres m’ont amené à peindre mes premiers mandalalas. Ils sont directement et intrinsèquement liés à ces fameuses cernes dans le cœur de l’arbre. Leur épaisseur indique les sécheresses où les saisons estivales à forte pluviométrie, l’orientation de l’arbre en fonction des points cardinaux, une solidité indispensable au niveau de telle ou telle charpentière pour en consolider le maintien. Il est aussi possible d’y lire les attaques de parasites ou de champignons. On y distingue l’aubier signe de jeunesse et de souplesse, du duramen pour la force et la solidité. Indirectement c’est toutes ces choses que j’aimerai réussir à transmettre dans mes tableaux. Ainsi que mon amour inconditionnel pour ces végétaux ancestraux, même si mon ancien métier m’a trop souvent obligé à les malmener. J’étais le bourreau et mes clients les juges qui prononçaient la sentence. Certain·e·s pouvaient être sensibles à mes conseils et laisser une paix royale à leur(s) arbre(s), mais iels étaient bien trop rares. Trop nombreux·euses à souhaiter l’absence de bois mort ou une symétrie parfaite, ou pire, un étêtage pour éviter qu’ils poussent trop haut. Ce qui est un non-sens et une absurdité crasse.

Il est probable que je tente de me racheter en continuant de leur rendre honneur à travers mes peintures.

Fin de l’explication du pourquoi, du comment de ce tableau.

Voici comment j’ai procédé, étapes par étapes.

Une photo issue du roman, gardée dans mon téléphone, un rapide croquis pour la direction à entrevoir et je me lance. 

Photo du croquis pour le tableau « Kamouraska » de Fabien Trarieux, directement inspiré de l’illustration de Gabrielle Filteau-Chiba dans « Bivouac ».
Croquis directement inspiré de l’illustration de Gabrielle Filteau-Chiba pour son roman « Bivouac » – Fabien Trarieux – Mai 2025

Préparation des couleurs, plus automnales que celles que j’ai pu utiliser jusqu’à maintenant.

Création des couleurs spécifique au fond pour le tableau « Kamouraska »
Préparation de couleurs originales pour le tableau « Kamouraska » – Fabien Trarieux – Mai 2025

Tracés à main levée au crayon gris. Cette fois pas d’utilisation d’outils numériques et ça fait le plus grand bien.

Tracés au crayon gris pour délimiter les cernes sur le tableau autour du cœur central
Tracés au crayon gris pour délimiter les cernes sur le tableau autour du cœur central – Fabien Trarieux – Mai 2025

Répartition des teintes sur les cernes. De manière aléatoire et/ou réfléchie… ça évite que je me mélange les pinceaux, sans mauvais jeu de mots.

Répartition des couleurs sur le tableau
Répartition des teintes sur les cernes – Fabien Trarieux – Mai 2025

Quelques brefs croquis pour évoquer la tendance des motifs qui s’y trouveront. Je ne souhaitais pas d’arrondi volontairement. Principalement des formes anguleuses, droites et des pointillés. Sauf en son cœur et en son écorce. Généralement je fais peu d’essais, je mise plus sur l’improvisation lorsque je dois les réaliser. En cas de ratage complet ou de bavures, je conserve toujours en pots hermétiques les couleurs des fonds pour corriger au besoin.

Croquis des détails pour le tableau Kamourska
Croquis spontanés des détails pour le tableau « Kamouraska » – Fabien Trarieux – Mai 2025

Première couche des couleurs sur la totalité des cernes. Il m’aura ensuite fallu 3 couches sur chacune pour obtenir un aplat parfaitement homogène.

Photo de la première couche des aplats de couleur
Photo de la première couche des aplats de couleur qui rend bien dégueulasse – Fabien Trarieux Mai 2025
Photo d’une main peignant une deuxième couche de peinture sur un tableau
Au moins 3 couches nécessaires par couleurs et par cernes pour obtenir un aplat de qualité – Fabien Trarieux – Mai 2025

Et zouzouzouzouzouzouzouzouzou (https://www.youtube.com/watch?v=pTpoqfJH3Bc) pour les détails de noir et de blanc qui rehaussent et modifient les couleurs des cernes. 

Début des détails sur tableau « Kamouraska »
Début des détails que je répartie en commençant autant par le centre que sa périphérie – Fabien Trarieux – Mai 2025

Un mois pile pour réaliser ce travail. Toujours à jouer l’équilibriste entre le quotidien d’une vie de famille, socle indiscutable de mon bien-être, et de grappillages sur mon sommeil et les soins qu’il me faudrait accorder pour ma santé mentale.

Le tableau devait s’intituler « Fissuré ». Dans le projet initial où je me référais au croquis du début, je devais y faire apparaître des fissures dans les teintes grises du cœur et de l’écorce. Plus je m’approchais du terme du tableau et moins je me rappelais de son titre dont j’étais certain de l’avoir noté quelque part, mais où ?!? Et plus les détails au sein des cernes se dessinaient et moins l’intérêt d’y ajouter les fissures m’apparaissaient évident. Impossible de trouver un autre titre (qui était noté en gros dans le dossier des photos prises pour l’avancée du tableau). J’en ai fait une liste tout en peignant, mais pas de déclic. J’ai exposé mon problème à ma Douce et m’a assuré qu’elle allait réfléchir au problème. Rapidement, elle est venue à moi avec une seule et simple proposition : « Kamouraska ». Lieu où se déroule la trilogie de l’écrivaine et parce que le mot « amour » s’y trouve et renvoi au cœur gris qui se trouve au centre de l’œuvre. Ces simples explications m’ont suffit et comblé.

« Kamouraska » est donc un tableau de 76 x 59 cm, peint à l’acrylique sur plaque d’isorel de 5 mm d’épaisseur, collé par-dessus un cadre en tasseaux de bois de 3 cm d’épaisseur. Le fond réalisé au pinceau, les détails aux feutres.

Je pars du principe que toute œuvre a une influence consciente ou non. Pour celle-ci, je ne pouvais pas passer outre une explication digne de ce nom, par respect vis-à-vis de Gabrielle Filteau-Chiba, à qui je tiens à rendre hommage. D’ailleurs, je vous encourage à découvrir son œuvre, si ce n’est pas déjà fait. Avec des finances plus élevées que les nôtres n’hésitez pas à acheter ses livres, elle investit ses royalties dans l’achat de lopins de forêt québécoises pour contrer les projets de l’industrie pétrolières. Rien que cet argument suffirait à dévaliser toutes les librairies de France. Deux podcasts pour en savoir plus sur l’autrice : celui de la Terre au carré de Mathieu Vidard sur France Inter (https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/la-terre-au-carre/l-invite-au-carre-5740266) et celui sur Radio Nova (https://www.nova.fr/tag/gabrielle-filteau-chiba/) qui m’a permis de découvrir un titre du groupe Les Hay Babies, « The Bear Song » (https://www.youtube.com/watch?v=ffhl8AqTdJA). Le morceau tourne en boucle dans ma playlist en ce moment tellement il est proche de l’univers de la romancière.

Sinon, des liens pour les comptes de tout ce petit monde : 

Bon sang, et voilà que je me mets à bosser pour Zuckerberg maintenant (https://fabientrarieux.art/blog/jai-vendu-mon-ame/). Tout fout l’camp.

Caresses et bises à l’œil.