Dès le début de ce projet, je me suis sans cesse demandé quelle en était la signification. Une indécrottable envie de développer ces espèces d’hybrides entre chouette et hibou, sans réellement en saisir la substantifique moelle. J’ai rogné l’os jusqu’à la rédaction de cet article, sans trouver la réponse. Quelques pistes se sont présentées sans qu’un lien véritable soit établi entre mes intentions créatives et le résultat final. Il me reste toujours ce questionnement : interpréter ou non mes réalisations. Au risque de limiter le regard du spectateur, ou de perdre mon temps dans les tréfonds d’explications imbitables. Apparemment, j’ai choisi cette voie.
Pour autant, j’ai remarqué que depuis ce rêve datant d’au moins quatre ans, où cette espèce de volatile m’est apparue, je n’en décroche pas. Trois tableaux sur ce thème, il est probable que le dernier sera celui qui me satisfera entièrement. Mais, je le confesse, l’objectif n’est pas encore atteint. D’autant que l’image du rêve s’estompe au fil des années qui passent, il n’en reste qu’un vague souvenir brumeux. Il est possible aussi que je passe à autre chose.
Après « Sortir du trou » (https://fabientrarieux.art/page-sortir-du-trou/), satisfait d’avoir réussi mes dégradés de lumière perçant les nuages, alors que je n’en avais pas fait depuis belle lurette, l’envie de reproduire cette technique me titillait les pinceaux. Les nombreux mandalalas et leurs aplats de couleurs commençaient à me taper un peu sur le système nerveux. Une pause était indispensable. Malgré tout, l’affaire ne fut pas évidente. J’ai dû m’y reprendre à trois fois avant d’en être entièrement satisfait. Le support a failli finir plus lourd en couches de peinture qu’en tasseaux de bois et isorel tellement j’ai essuyé d’échecs (cf. une partie de l’article « dégradé(s) » : https://fabientrarieux.art/blog/degrades/).
Pour rappel, le tout premier tableau en lien avec ce thème a été réalisé en 2021. Celui-là :
Un second, peint en octobre 2023 (https://fabientrarieux.art/page-chouette-post-covid/), ne m’a toujours pas comblé dans mes exigences. Je souhaitais approfondir mon obsession son approche graphique, mais avec des couleurs différentes et intégrer de nouveau l’imagerie de l’arbre de manière plus accentuée.
Face à la frustration intellectuelle de ne pouvoir expliquer « Hybride », ma Douce s’est moquée de moi en affirmant : « Ben, c’est ton animal totem ». Tout en sachant que j’allais rechigner sur cette approche new age à deux balles (tiens, d’ailleurs, je vous invite à arpenter les méandres du site « Méta de choc » : https://metadechoc.fr). Je n’ai tout de même pas pu m’empêcher d’aller faire un tour sur le ouèb pour voir la symbolique de ces oiseaux. Apparemment ces jolis piaffes détiennent la signification de la sagesse, du mystère, de l’intelligence et de la protection. Certains sites poussent le curseur jusqu’à les associer à l’intuition, la connaissance et la clairvoyance. Sans aucune dévalorisation et en toute connaissance de ma personne, rien ne me correspond réellement. La sagesse ? Je pouffe de rire comme un gosse au moindre prout. Le mystère ? On peut lire mes pensées sur mon visage comme dans un livre, à mes dépens. L’intelligence ? Je suis loiiiiiin du génie. Pour autant, ni une flèche, ni un teubé. La protection ? Bon, allez, je le concède, mais comme un peu tout un chacun : il ne faut pas toucher à ma meute, sinon je deviens mauvais comme une teigne. Pour l’intuition, j’avoue ici même, le nombre incalculable de fois où je me suis fourvoyé sur une personne nouvellement rencontrée. En bien comme en mal. La connaissance ? Positionné juste dans la moyenne. J’ai tellement de trous dans la tête à cause de ce que j’ai pu consommer comme produits illicites qu’il n’en reste plus grand-chose. Et alors, la clairvoyance, je ne m’y attarderai même pas. Après, j’ai arrêté mes recherches, car le mercantilisme des sites consultés me hérissait le poil de dégoût. Ils étaient boursoufflés de fenêtres pop-up et de publicités en tout genre et leurs soi-disant explications servaient sournoisement l’injonction d’achat de t-shirts, bijoux en toc, pierres précieuses en tout genre, ou faisaient croire que nous étions un·e être spécial·e avec des dons divinatoires.
Il me faut donc accepter de n’avoir aucune idée de mes intentions artistiques sur cette œuvre. Si ce n’est de me faire sortir de ma zone de confort, d’explorer un style, des couleurs, des techniques et des formes différentes. Même si l’on soustrait le temps d’attente pour recevoir la peinture qu’il me manquait pour sa réalisation, le froid humide de mon atelier/garage, les nombreux essais infructueux de dégradés, les vacances scolaires, les phases dépressives, les démarches pour trouver des lieux où exposer, il remporte haut la main la palme du tableau sur lequel j’ai passé le plus de temps.
Explications du pourquoi, du comment.
L’idée était donc de continuer sur ma lancée des chouettes/hiboux, de m’éloigner un temps des mandalalas, de jouer sur le dégradé en fond et d’intégrer les branches d’un arbre. Pour qui ? Pour quoi ? Si je dois absolument y répondre : sans doute du fait de mon mode monomaniaque bloqué sur ce rêve où cette espèce d’animal apparaît, parce que je vénère les arbres et que je n’avais pas la moindre foutue idée de comment représenter tout ce marasme dans un mandalala sans que ça fasse une croûte immonde. Volonté aussi d’intégrer le monde animal dans mon travail. Probablement en lien avec l’époque anxiogène que nous traversons et l’environnement naturel que nous leur (gra)pillons un peu plus chaque jour. Leur rendre hommage, même s’ils se foutent cordialement de mes créations et que jamais je ne les verrai se pointer à l’une de mes expositions à me demander le sens caché de mes tableaux, est important à mes yeux.
Dans un premier temps, comme à mon accoutumée, j’ai croqué mes premières esquisses sur tablette. Ça vend moins du rêve dans l’imaginaire collectif de l’Ârtiste, mais j’économise du temps, du papier et de la peinture. Je peux jouer à volonté sur les formes et l’assemblage des couleurs sans avoir à tout reprendre à chaque nouvelle orientation ou évolution de mon travail de recherche. L’oiseau en mauve, c’est une idée de mon Amoureuse. Je butais sur la teinte, au risque de rendre le tout glauque tant les couleurs étaient sombres. Et jongler avec l’impossibilité de trouver cette couleur sur un tel animal dans la réalité, m’a immédiatement séduit. Il n’empêche. Rien que cette partie m’a pris quarante heures de travail.
En voici le résultat :
À ce stade, seuls les contours me conviennent. Les couleurs, quant à elles, restent approximatives. Elles se révèleront lorsque j’aurai fait mes propres mélanges. Mélanges effectués juste au moment de commencer à peindre. Je conserve tout de même ma palette de couleurs et tente de m’en approcher au plus près.
Entre-temps, j’ai préparé mon support : isorel collé sur un cadre en tasseaux de bois sur lesquels je peins plusieurs couches de blanc afin d’obtenir un fond parfaitement homogène.

Deux dégradés ont été recouverts, faute de me satisfaire pleinement. Le troisième a été le bon. J’utilise alors mon vidéoprojecteur relié à ma tablette et renvoie uniquement les contours des traits sur mon support que je trace au crayon gris par-dessus le dégradé. Ma vue a dû prendre cher, entre l’éclairage, la minutie et le ton sur ton du crayon et du fond. Pour y voir plus clair et ne pas saigner des yeux, j’ai repassé la totalité des traits au feutre blanc de 0,5mm. Alors la longue traversée en solitaire, pour recouvrir le fond et obtenir un aplat de couleur uni pour les autres parties du tableau , a débuté. Les rainures des branches inspirées de celles des platanes ont été réalisées, toujours au crayon gris dans un premier temps, une fois la première couche de marron posée. Elles ont servi à délimiter les parties avec les autres nuances de cette couleur. Je les ai ensuite tracées au feutre acrylique blanc afin d’en accentuer les contrastes. Que ce soit pour les marrons, les différentes teintes de roses/mauves et le jaune, il m’a fallu trois couches de peinture pour chacune d’entre elles. Fort heureusement les contours en noir n’en ont demandé qu’une seule, contrairement au blanc plus capricieux avec ces, minimums, deux couches grâce aux feutres acryliques (https://fabientrarieux.art/blog/feutres-acryliques/). Coup de chance, les pointillés, quant à eux, ont pris en un seul passage.
À suivre le déroulé en image :
Le temps s’est réchauffé, j’ai pu aller plus souvent dans mon atelier, sans me geler les orteils ou les phalanges et ne plus avoir à déplacer tout mon matériel de peinture dans la maison. Je suis dans l’incapacité totale de pouvoir évaluer le temps passé sur la phase réelle de peinture, tant elle est morcelée par mon quotidien, fait d’enfants, de repas à préparer, de courses à faire, de rendez-vous médicaux, de flemme, de pas-de-goût parfois, de séries/films/bouquins vampirisants. Mais je peux témoigner que ça a été looooooong, sonpèrelipopette. Au final, le tableau a pu avancer selon mes envies et mes désirs. Un grand « YES ! » de contentement est sorti de ma bouche lorsque j’y ai apposé ma signature en guise de touche finale.
Hop, je vais pouvoir passer à autre chose.
Caresses et bécots à l’œil.