Il est des créations qui résistent. Je m’y suis frotté pour la première fois depuis belle lurette sur mon dernier tableau en cours. Jusqu’à maintenant, mes tableaux ne m’ont jamais posé problème. Était-ce parce que je ne me poussais pas dans mes retranchements et que je restais sur mes acquis ? Ou parce que je suis dans une phase où je m’éparpille dans tous les sens entre diverses réflexions professionnelles, artistiques et personnelles ? Ou pour une raison purement matérielle : je n’avais plus suffisamment de peinture !
C’était frustrant. Sans l’ombre d’un doute. J’ai pourtant savouré ces difficultés et relevé les défis qui s’érigeaient devant moi.
J’ai recommencé trois fois ce fichu dégradé. Le premier jet, une fois bien éclairé par mes spots, m’a permis de constater que certains endroits n’avaient pas été recouverts d’acrylique. Inacceptable. Je n’ai pas compris cette erreur, sans doute n’avais-je pas la lumière allumée à tous les étages lors de son application. Damned. Qu’à cela ne tienne, j’ai tout recouvert de blanc.
À la deuxième tentative, je savais que je prenais un risque : une fois le tube de noir dispersé sur la palette avec des doses de blanc différentes, j’ai constaté qu’il était vide. Pas le droit à l’erreur. J’y suis arrivé. Du moins, au regard de l’exigence que je m’étais fixée, et en étant pressé par le temps : j’avais promis à mon Amoureuse de l’amener chez le médecin, toute éteinte qu’elle était. Je n’avais pas anticipé le temps qu’il me restait. J’ai usiné au plus vite pour décoller une fois pinceau et palette nettoyés et séchés.
À chaque étape d’un tableau, j’aime le laisser reposer sur mon plan de travail. J’y jette un œil de temps à autre pour jauger s’il y manque quelque chose et s’il est conforme aux objectifs fixés. Ce deuxième dégradé me convenait. Moins nuancé certainement, mais son fondu était meilleur que le précédent.
Plus tard, lorsque mon épouse est entrée dans le garage, du haut de son éternelle et impitoyable franchise, elle a trouvé que le premier était mieux. Bordel. Ça m’a énervé. Mais j’ai tenté de garder la face et de le prendre avec détachement. Merde, c’est qui l’Artiss’ ? Sûr de moi, grâce à mon vidéoprojecteur, j’y ai tracé les dessins de mon projet au crayon gris pour ensuite les repasser au feutre acrylique blanc. Et là, je me suis retrouvé face à l’évidence qu’elle avait fichtrement raison (comme d’hab’). Les nuances du glissement du noir vers le gris clair se sont révélées quasi inexistantes.
Rebelote : de nouveau, deux couches de blanc pour tout effacer et ce constat amer : trois heures de boulot en tout pour rien. Je commençais à pester intérieurement et ça se faire sentir.
Après quarante-sept ans d’existence, j’ai commencé à apprendre un truc vachement pratique : la patience. Pas encore complètement acquise, j’avoue, mais c’est en bonne voie. Ma commande de peinture passée en ligne, ailleurs que chez cette face d’anus épilée de Jeff (et je ne jette la pierre à personne, il m’arrive de faire appel à ses services), allait mettre quelques jours avant d’arriver dans ma boîte aux lettres. J’en ai profité pour envoyer une salve de propositions d’exposition accompagnées de mon portfolio numérique dans des lieux culturels en tout genre, quitte à viser des lieux où je flatulais plus haut que mon postérieur.
Une fois les tubes de couleurs reçus (et oui, pour moi le noir en est une, fin de la discussion, merci), j’ai pu réitérer le dégradé de l’enfer. Bam, réussi, non pas du premier coup, ni du deuxième, mais du troisième. Et puis franchement, je n’avais pas envie que le support finisse par peser plus lourd en peinture qu’en bois. Par expérience, j’ai appris qu’un tableau ne se dévoilait entièrement qu’à son achèvement. Le remplissage ne manquait nulle part, les contrastes étaient suffisamment accentués pour être notables et le fondu pas aussi parfait que ce que j’espérais. Mais bon. Vu tous les détails qui vont y jaillir, ça donnera sans l’ombre d’un doute, un aspect stylé.
J’ai pu alors continuer…
La suite au prochaine épisode.
Caresses et bécots à l’œil.