Plusieurs enjeux pour ce tableau « La vie est vulve ». Le titre s’était imposé à moi comme une évidence lorsque je suis tombé face à ce tag, légèrement délavé depuis, mais toujours visible, au bord de la grande plage de la presqu’île de Gâvres.
Le slogan était drôle, décomplexé, féministe et je me suis délecté à imaginer la gêne de certains parents à répondre à la question de leurs jeunes enfants « Dis, papa, dis, maman, c’est quoi, une vulve ? ». D’autres formules bombées sur les murs faisaient aussi l’éloge de la pilosité et à libérer le poil sur le corps des femmes. Tiens, une chanson s’impose : « Le Poil » de Java : https://www.youtube.com/watch?v=Sk0WT_FdX1k
L’idée a fait doucement son chemin. Plusieurs délicatesses s’imposaient à moi. Il était hors de question de faire « L’origine du Monde » bis (https://www.musee-orsay.fr/fr/oeuvres/lorigine-du-monde-69330), je n’en ai ni le talent, ni l’audace et l’époque ne s’y prête définitivement plus après le mouvement libérateur #Metoo. Pas de dénonciation, mais plutôt un hommage au féminin dans tout ce qu’il a de sacré, de respectable, de supérieur. Quoique puissent en penser les masculinistes, les machistes et tous ces arriérés de la testostérone. Je me suis toujours senti plus proche des femmes, de la féminité que du genre que je représente extérieurement. Est-ce le fait d’avoir été influencé et éduqué par une femme aux idées féministes (malgré quelques contradictions dans sa position sur certains sujets au sein de son couple) ? Ou est- ma sensibilité naturelle ? Je ne saurais y répondre. Je me suis aussi abreuvé de nombreux podcasts féministes (pour n’en citer que quelques uns : « Un podcast à soi », « Les couilles sur la table », « Kiffe ta race ») car il existe des schémas que je ne souhaite pas répéter, contre lesquels je me sens obligé de lutter pour ne pas rentrer dans les stéréotypes de notre société patriarcale, raciste et capitaliste. Qu’on ne s’y méprenne, je suis bien loin d’être parfait, beaucoup de choses sont encore à déconstruire et mon épouse ne me loupe sous aucun prétexte. Et je l’en remercie chaleureusement tous les jours que nous passons ensemble.
Tout le long de la création de ce tableau, je me suis demandé si j’étais légitime de représenter ainsi le sexe féminin, sans en faire un hymne libidineux ou de m’immiscer malgré moi dans la caricature d’une vision masculine. Je crains ne pas y avoir échappé. Notamment sur quelques points, mais je le confesse, ils ont été volontaires. La couleur rose omniprésente pour rester dans le stéréotype idiot du « rose pour les filles, bleu pour les garçons ». Le rouge souligne quant à lui les cycles menstruels. J’y ai glissé des vulves sous divers motifs, plus ou moins visibles, des cœurs illustrant l’amour et des courbes, symboles des rondeurs féminines. J’assume pleinement ces visions mièvres et genrée. Elles ont une autre explication que je détaillerai par la suite. Le but était de souligner la difficulté d’échapper à ces catégories qui m’influencent malgré moi : génération X, blanc, me rapprochant dangereusement de la cinquantaine, hétérosexuel et cisgenre, comme je le précisais, il me reste encore du chemin à parcourir pour tout déconstruire… Y arriverais-je seulement ? Je suis admiratif de la décomplexion des générations suivantes sur la sexualité, bien qu’il y persiste encore quelques culs serrés, abreuvés de dogmes religieux ou d’oeillères intellectuelles distillé·e·s par les réseaux sociaux et la bêtise humaine. Foutre la paix aux personnes différentes, est-ce si difficile que ça ?
La seconde difficulté que je m’imposais, était le support : première fois que j’osais celui d’une toile. Alors, pas une vraie toile à proprement parler. Elle a été récupéré dans une ressourcerie et est en vinyle et non faite de coton ou de lin. Mais le défi était bien présent. J’ai toujours perçu la toile comme le support ultime, le plus honorable. Une tension interne a été présente tout le long de sa création avec la peur viscérale d’échouer, de ne pas être satisfait du résultat. Au risque qu’un excès de tristesse ou de colère détruise tout. Mais le thème abordé était tellement vénérable que j’ai réussi à conserver mon calme. Et finalement, prendre conscience que la technique que j’utilise n’est pas adaptée à ce support. Les irrégularités du tissage, sa souplesse lorsque la paume de la main tenant un pinceau ou un feutre acrylique s’y appuie, m’ont fait comprendre que je préfère travailler sur des aplats rigides et lisses comme l’isorel, le contreplaqué ou le médium. À mon plus grand regret, je n’ai ni la dextérité, ni la précision suffisante pour peindre à main levée. Alors je m’adapte.
En voici le descriptif :
« La vie est vulve » – Fabien Trarieux – Août 2023 – Acrylique sur toile vinyle – 70 x 50 cm
Ce tableau exhibe en son centre une vulve stylisée d’où partent des formes concentriques qui semblent s’étendre jusqu’à l’infini. Les aplats de ces contours sont réalisés au pinceau et à la peinture acrylique avec les teintes suivantes :
– Le rose en y opposant la connotation traditionnelle lié à la féminité (douceur, tendresse et fragilité) avec les réappropriations féministes pour symboliser la force des femmes, leur sororité et le refus des stéréotypes imposés par le patriarcat.
– Le rouge pour la couleur des cycles menstruels pour la passion, la force, ainsi que la colère et la révolte nécessaire pour se défaire des carcans masculinistes.
– Le gris provoque une cassure dans les teintes précédentes. Il symbolise l’équilibre entre le noir et le blanc (le yin et le yang ?) et donc la lutte contre les rôles genrés imposés aux femmes comme aux hommes.
Dans chacune de ces formes entourant la vulve centrale, des motifs différents dans chacune se répètent. Ils représentent d’autres vulves dans des formes diverses proches du végétal, symbole de jouissance et/ou de maternité, des cœurs pour mettre en avant la célébration des émotions, la solidarité, l’autonomie et la dualité. Il est possible aussi d’y voir des seins, des vagues, des feuilles, des rondeurs et des angles qui peuvent illustrer selon le ou la spectateur·trice, la douceur, la matrice, le cycle de la vie, la connexion aux éléments naturels et à notre terre.
Je tiens beaucoup à ce tableau face aux défis que je me suis imposé. Aussi par son côté féministe, un brin provocateur, mais principalement parce que son harmonie me touche. Cela peut vous sembler prétentieux, mais il est rare que j’apprécie sur du long terme un de mes tableaux. La comparaison pourrait se faire avec un chanteur qui ne supporte pas d’entendre sa voix sur un enregistrement.
Il est hors de question de le vendre à un homme, j’entends : hétérosexuel et cisgenre. Idéalement, je rêverai qu’il soit vendu à une enchère pour soutenir une cause féministe. Autant préciser ici, que s’il devait y en avoir, ce serait une acheteuse et non un acheteur.
Tout en espérant que la vision que j’apporte à la cause féministe ne fasse pas saigner des yeux les femmes elles-mêmes.
J’aurais l’air bien con, sans mauvais jeu de mots, krrkrrkrr.
Caresses et bécots à l’œil.