Tout est parti d’une peinture numérique réalisée pour les invitations à notre mariage l’hiver dernier. Mon atelier, non chauffé, était trop froid et humide pour y travailler. J’ai donc essayé de créer un mandalala sur tablette pour éviter d’étaler crayons, feutres et peintures dans les pièces communes de notre maison. Le résultat était plutôt satisfaisant, surtout une fois imprimé au format A4. Cependant, il manquait une âme indescriptible, un défaut que le numérique a souvent à mes yeux. Une exception notable est l’incroyable mise en couleur de François Lapierre pour la BD de Loisel et Tripp, “Magasin Général”. Le rendu est d’autant plus bluffant lorsque j’ai appris que tout avait été réalisé par un célèbre logiciel de retouche photo et non à l’aquarelle, comme je le croyais. D’ailleurs voici le lien d’un petit documentaire sur le sujet : https://www.youtube.com/watch?v=1UDJc0N58Kc
Malgré tout, dès le début de cette peinture numérique, je savais qu’il y aurait une version “In Real Life”. J’ai ainsi eu l’occasion de fabriquer un cadre pour fixer mon isorel de récupération et obtenir un tableau plus présentable. Une première pour moi.
Ci-dessous, une galerie d’image retraçant l’évolution du tableau :
À la différence du modèle numérique, les cernes des cœurs ont été beaucoup plus arrondis. Une esquisse involontaire m’a fait comprendre que le motif central devenait ainsi plus doux et apaisant. J’en avais besoin. Sa conception s’est faite en pleine période électorale (extrême-droite aux Européennes, dissolution, législatives dans une ambiance nauséabonde). Éternel naïf, j’ai toujours eu du mal à envisager que certaines personnes soient attirées par les idées de droite, et celles du RN me sont totalement inimaginables. La haine pour des histoires de couleur de peau, le chacun-chez-soi, les fermetures des frontières, le libéralisme, le capitalisme, et j’en passe, me semblent des aberrations : comment en être toujours là après toutes ces années d’existence, d’expériences et de soi-disant « civilisations » ?
Je ne voulais pas m’enfermer dans la haine de mon prochain, même s’il n’a pas les mêmes idéaux que moi. Mais je tremblais à l’idée que mes enfants puissent grandir dans un tel climat politique. Nous ressentions déjà les relents d’une homophobie stérile, les promesses honteusement policées d’un soutien aux plus démunis, à condition qu’ils soient blancs, et les regards de travers pour tous ceux qui ne sont pas “rose-cochon” de peau. Difficile de ne pas devenir paranoïaque et se demander si tel ou tel voisin pourrait glisser le bulletin de la honte dans l’urne. Le sachant, pourrais-je continuer à l’aimer ? L’apprécier ? Ou simplement le saluer ? M’opposant à leurs pensées, ne rentrerais-je pas dans leur propre étroitesse intellectuelle ? Je n’ai pas la réponse, mais après avoir entendu divers témoignages de personnes racisées et/ou homosexuelles, mon épiderme s’est hérissé d’horreur et de dégoût. Être précaire et handicapé non visible me laisse égoïstement encore un peu de répit… mais jusqu’à quand ?
La période était morose (elle l’est toujours, rien n’est gagné, loin de là). Il me fallait mettre un peu de couleur dans ma vie, dans ma tête et sur mon tableau. Au cours d’une discussion familiale de haut vol dont j’ai oublié le sujet, l’un de nous a répondu à la question « Mais où est passé ce truc ? » par l’incontournable et ô combien poétique « Dans ton cul ! ». Ma petite dernière, aux oreilles sensibles et à l’intolérance crasse face au vocabulaire familier ou grossier, a rétorqué « On dit : Dans ton cœur ! ». J’ai su immédiatement que j’avais trouvé le titre.
Je n’ai pas envie de faire une description détaillée. Je m’arrête là.
Caresses et bécots à l’œil et après quelques petits détails du tableau en question.